Eugène Vicat dit « Le Gène »

Par Brigitte Baret

Eugène Vicat est né en 1933 dans le quartier isolé des Bouilleaux (le bout haut) de Viriville (Isère) en plein cœur des Chambarans. Paysan modeste des collines, amoureux de sa terre, de la nature environnante mais aussi curieux de tout et ouvert au monde, c’est l’apprentissage d’une vie bien remplie qu’Eugène nous a livré en gravant sur des planches à l’aspect brut, dessins et petits textes en patois.

Au café « Chez Simone », place des Buttes
Au café « Chez Simone », place des Buttes (Crédit: Catherine Vincent)

Les souvenirs

Ce patois lui rappelait sa famille, ses voisins d’autrefois, ses amis et toutes les rencontres occasionnelles qui l’avaient amusé. Ce parler local transcrit et illustré, au-delà des savoirs transmis, traduit l’esprit et l’humour des habitants des Chambarans et leur joviale convivialité. Cette mémoire d’une époque révolue peut encore, tout en nous amusant, beaucoup nous apprendre.

Rire pour survivre

L’ironie et l’humour, Eugène les a appris très tôt. Petit enfant déjà, auprès de sa famille, pour survivre au désastre après un incendie qui n’avait rien épargné de la ferme de ses parents. Sa mère, avec laquelle il a cohabité jusqu’à ses 60 ans, a su lui transmettre son optimisme et son esprit positif. Eugène a surtout été marqué à l’adolescence lorsqu’à l’occasion de travaux en commun, comme les « batteuses », on le confiait aux anciens, rescapés de la guerre de 14-18. Ceux-ci avaient dû réapprendre à vivre dans la société et c’est le sens de la dérision avec lequel ils observaient les êtres et la nature qu’ils transmettaient au jeune homme au cours de ces journées laborieuses.

Un savoir être à conserver

Quand fut arrivé le temps de la retraite, c’est leurs mots désuets, leur expérience de la vie, leurs plaisanteries, leurs dictons et préceptes qu’Eugène Vicat avait toujours gardés intacts en mémoire, qu’il a voulu graver pour les sauvegarder…

Les expériences nourrissent l’inspiration

Ses expériences de conseiller municipal à Viriville durant cinq mandats, ses responsabilités et son engagement très actif au sein du syndicat agricole, l’époque du régiment en Allemagne, ses voyages et ses rencontres ont aussi par la suite enrichi son travail d’anecdotes et de réflexions plus personnelles. Le voisinage d’une artiste l’a également incité à agrémenter ses planches de dessins de plus en plus soignés. Ces planches d’arbres fruitiers souvent encore peu dégrossies dans ce beau bois dur qu’il affectionnait tant, lui ont-elles-mêmes souvent inspiré, par l’excentricité de leurs formes, les thèmes de ses historiettes ; tout comme les vieux outils agricoles dénichés dans les brocantes qu’il aimait tant collectionner.

Inventer son propre savoir faire

À défaut de références orthographiques et de modèle phonétique, Eugène a inventé peu à peu des astuces personnelles pour transcrire ce parler local, cette langue purement orale.

Avec une simple défonceuse et une mèche usée qui brulait le bois mais dont l’efficacité n’a jamais été égalée par des outils plus sophistiqués, Eugène a ainsi gravé près de 250 planches, parfois recto et verso, souvent en accolant plusieurs textes. Beaucoup ont fait l’objet de cadeaux personnalisés aux amis.

Transmettre

Aujourd’hui, c’est un trésor d’humour et de sagesse qu’Eugène Vicat a légué à ceux qui sauront le découvrir derrière les mots d’un langage oublié et la délicatesse de ses propos.

Eugène nous a quitté le 19 mars 2019.